

Dominique Larue (Cl. 79) – Vous dites que nous avons un modèle social de luxe financé par les contributions sociales prélevées sur les salaires et d’innombrables prélèvements sur le capital. Pourquoi, selon vous, la France n’a-t-elle pas choisi, comme les pays scandinaves ou l’Espagne, d’augmenter la TVA ?
Agnès Verdier-Molinié – Par idéologie, c’est elle qui prime malheureusement. En effet, on ne touche pas à la TVA parce que c’est un impôt que payent, à égalité, toutes les catégories sociales. Et si on se fie aux statistiques de l’École d’économie de Paris, la consommation des pauvres pèse plus, en proportion, que celle des riches. D’où le choix de ce gouvernement d’augmenter la CSG, ce qui est contre-intuitif. En effet, la TVA a l’avantage de faire peser le coût du modèle social sur les importations. Les pays qui ont fait le choix de l’augmenter de 2 points n’ont pas eu une augmentation proportionnelle des prix. La mécanique concurrentielle, parmi d’autres facteurs, explique cette modération. En France, les gouvernements ont mis en place des mesures qui favorisent au contraire le pouvoir d’achat des salariés pour compenser la hausse de la CSG, une politique paradoxale car elle favorise les importations, creusant d’autant la balance commerciale parce que l’appareil productif national n’aura pas eu le temps de se régénérer. C’est pourtant l’urgence. Avant de donner du pouvoir d’achat, il faut mieux reconstruire le tissu entrepreneurial de la France. Mais c’est malheureusement plus compliqué.

Christian Bailly (Ai. 60) – Qu’en est-il du salaire universel ? Est-il totalement passé aux oubliettes ?
A. V.-M. – L’idée du revenu universel a été développée par Benoît Hamon au cours de la dernière campagne présidentielle. Il a évoqué initialement un coût de 400 milliards d’euros, soit l’équivalent du budget de l’État, puis il a rétropédalé à 70 ou 80 milliards pour finir à 6 % ou 7 % des voix. Ce n’est pas très crédible. Il y a des expériences de revenu universel dans quelques villages finlandais mais, en France, nous l’avons déjà. En effet, environ 87 milliards d’euros d’aide de l’État sont versés chaque année sous critères de ressources. C’est un sujet délicat avec toujours des cas limites et complexes. L’Ifrap a fait les calculs : il y a parfois seulement 100 euros d’écart par mois entre une famille avec un enfant gagnant un Smic et une famille semblable vivant des minima sociaux. Il suffit de travailler quelques heures au noir et la différence est comblée, sans parler de la non-imposition des minima sociaux. Lorsqu’on est soutenu par la solidarité nationale, vous bénéficiez aussi des droits connexes, comme les transports gratuits. Il y a donc bien quelque chose à revoir de ce côté-là. Aujourd’hui, sur ce sujet, on tourne en rond : depuis combien de temps parle-t-on de l’incitation au retour à l’emploi. N’était-ce pas déjà le postulat de départ de la transformation du RMI en RSA ? À un moment, il faut se poser la question du contrôle. Certains courriers envoyés par les Départements leur reviennent avec la mention «N’habite plus à l’adresse indiquée».
![]() Agnès Verdier-Molinié dirige depuis 2007 la Fondation Ifrap, un laboratoire d’idées libéral qui étudie l’efficacité des politiques publiques. Titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine (2000), elle est embauchée, dès 2002 par l’Ifrap. Considérée comme l’une des Françaises les plus influentes par Slate.fr (2013), Agnès Verdier-Molinié a déjà publié plusieurs ouvrages, dont «La mondialisation va-t-elle… nous tuer ?» (éd. Jean-Claude Lattès, 2008), «Soixante Milliards d’économie !» (éd. Albin Michel, 2013) ou «Ce que doit faire le (prochain) président» (éd. Albin Michel, 2017). Dans ce dernier ouvrage, elle décrit les différents maux de l’État français et avance des propositions pour améliorer la fonction publique via neuf idées de loi. |

Jacques Ravaud – Quel est votre avis sur l’exonération de la taxe d’habitation réservée à 80 % des ménages fiscaux ?
A. V.-M. – Elle n’a aucun sens. Cette décision relève du même raisonnement que celle relative à la création de la taxe de 75 % [sur les très hauts revenus, NDLR]. C’est compréhensible par tout le monde et facile à avaler par le corps électoral. François Hollande savait que sa taxe serait retoquée par le Conseil constitutionnel. Il n’est pas exclu qu’Emmanuel Macron compte sur le même Conseil pour l’abandonner aussi. Je ne vois pas comment on peut défendre l’existence d’un impôt local payable par 20 % des ménages seulement : l’équité fiscale, c’est un véritable fil rouge de notre Constitution. C’est pour cela que certaines collectivités territoriales ont ouvert le débat sur le transfert de la taxe d’habitation vers la CSG. Et celle-ci n’est pas limitée à 20 % des ménages. Nous verrons plus clair bientôt.

Patrick Cantelli (Cl. 95) – Que pensez-vous du prélèvement à la source ?
A. V.-M. – À la Fondation Ifrap, nous y sommes opposés : il ne faut pas qu’on reporte du travail administratif sur les entreprises pour le compte de l’Administration. Le prélèvement à la source, c’est aussi le paiement en année «n». Dans ce cas, le fisc taxe plus car les contribuables gagnent plus en «n» qu’en «n – 1». Bercy a fait ses calculs. Au passage, nous adoptons un autre modèle fiscal, celui de l’individualisation. Adieu, donc, la conjugalisation, intéressante lorsque les membres du couple ne gagnent pas le même salaire. Ils y gagnent notamment en taux marginal. Mais le sujet important, c’est combien cela va coûter aux entreprises. Selon Bercy, elles supporteront un coût de 400 millions d’euros la première année. Mais selon l’évaluation du cabinet Mazars, Bercy omet de comptabiliser le temps passé par les directeurs financiers, les responsables RH et les comptables qui vont s’arracher les cheveux à faire fonctionner ce nouveau dispositif. Je ne parle même pas des déconvenues que les salariés découvriront. In fine, les calculs de Mazars évaluent le coût pour les entreprises entre 1,2 et 1,5 milliard d’euros quand l’Ifrap arrive à 2 milliards d’euros. Quand on fait peser 1,5 milliard de coût supplémentaires aux entreprises, il faut en évaluer l’impact. À l’évidence, cette évaluation n’apparaît pas dans le dernier programme de la loi de finances.

Jean-Luc Bour (Cl. 75) – N’a-t-on pas déjà glissé du mauvais côté de la courbe de Laffer (1) ?
A. V.-M. – De notre point de vue, les recettes fiscales sur le capital et sur le travail ont atteint le pic de la courbe de Laffer en 2010. Bercy n’aime pas beaucoup cette courbe et refuse d’en parler. Accéder aux vraies informations est un véritable problème. Un exemple : la fiscalité appliquée aux plus-values de cession des petites entreprises rapporte peu et cela encourage l’exil fiscal. Elles font rentrer dans les caisses publiques moins de 1 milliard d’euros. Il n’y a aucun intérêt à taxer les acteurs de cette taille. Le tabac est aussi un sujet exemplaire : les recettes n’augmenteront pas avec l’augmentation des taxes, même pour un bon motif, car les fumeurs iront moins au bureau de tabac et s’approvisionneront plus sur le marché parallèle. Nous sommes encore sous l’emprise de l’idéologie.
Propos recueillis par Djamel Khamès
(1) La courbe de Laffer est une modélisation économique développée en particulier par Arthur Laffer. Son credo : lorsque les prélèvements obligatoires sont trop élevés, une augmentation de l’impôt conduit à une baisse des recettes de l’État par incitation des acteurs surtaxés à travailler moins.
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