
Trop longtemps, notre pays a tourné le dos à son industrie. Là où nos principaux partenaires étrangers en ont fait un exemple de leur dynamisme, mettant en avant des «success stories», vecteurs d’attrait et de motivation chez les jeunes, nous avons laissé le poison de la désindustrialisation gangrener notre économie et, pire encore, notre imaginaire populaire. Comment a-t-on pu laisser une société tourner le dos à un pan entier de son économie ? Pourtant, la vitalité économique de notre pays a toujours reposé sur le dynamisme de son industrie.
Créer un «Mittelstand» à la française
Depuis quelques années cependant, il se passe quelque chose. Le gouvernement a décidé de faire de 2019 «l’année de l’industrie, l’année de la French Fab» car il s’y déploie de nombreuses initiatives. L’industrie française est vivace, présente sur tout le territoire, innovante, exportatrice. Elle a retrouvé ses niveaux de marge de 2007. Elle ouvre plus d’usines qu’elle n’en ferme. Sa représentation sociale avait laissé quantité d’entrepreneurs orphelins et en manque de considération de la part de la collectivité nationale, mais petit à petit cette image change. On commence à comprendre que l’industrie allemande s’incarne dans le «Mittelstand» [tissu de PME-PMI, NDLR], qui exprime à la fois une réalité d’organisation économique et des valeurs fondamentales. Le Mittelstand lui-même produit son propre «grand récit», tout entier tourné vers l’industrie 4.0, un équipement symbolique hautement mobilisateur pour les entreprises allemandes, producteur de fierté et de confiance en soi. Le résultat est évident : là où l’industrie allemande représente plus de 20 du PIB de nos voisins outre-Rhin, sa part atteint 12,4 du PIB français.
Derrière le couple Mittelstand-industrie 4.0, c’est tout un projet politique qui se déploie. C’est ce même pari que la France commence aujourd’hui à relever. Nous devons redonner de la fierté à notre industrie. Nous devons collectivement en être fiers, nous réconcilier avec elle. Et c’est le bon moment, parce que la 4e révolution industrielle est là. Mais aussi parce que, pour la première fois depuis longtemps, notre jeunesse se remet à croire en son industrie. Depuis 2013, le baromètre Arts et Métiers-Opinion Way mesure l’attirance des lycéens pour ce secteur. En 2019, l’envie d’industrie atteint auprès de cette population son meilleur niveau avec 80 de jeunes se disant confiants dans son avenir (+ 11 points depuis 2013). Nous devons saisir la chance que représente ce formidable élan. Attaquée de toute part dans sa représentation, l’industrie française doit désormais parler à son pays et lui raconter une histoire, lui ouvrir des perspectives. Nous devons créer notre «Mittelstand à la française».
Le système économique des start-up souffrait d’un déficit d’incantation identique avant le lancement du mouvement de la FrenchTech, qui a tout accéléré. Ce dernier exemple montre qu’avec un peu de détermination, on peut en quelques années installer une identité collective porteuse, productrice d’énergie, de reconnaissance, de fierté et de réassurance autour de la culture du progrès.
Pour une filière repensée et attrayante
C’est le mouvement que les industriels et l’État ont lancé autour de la French Fab. L’industrie ne doit plus seulement s’adresser aux industriels dans des salons confidentiels. Elle doit parler aux Français, leur offrir des choix, des ouvertures, un futur, et c’est sur notre jeunesse que nous devons miser pour qu’elle ait la fierté de se revendiquer de la French Fab. Nous sommes deux acteurs — Arts et Métiers et la BPI — à chaque extrémité du monde industriel. L’un ouvert aux jeunes au travers de la formation et de la recherche, l’autre en appui des entreprises pour les aider à rayonner et innover. Aujourd’hui, nous affirmons notre volonté partagée de porter le projet de société qu’est la French Fab.
Il est temps d’engager des actions concrètes et volontaires. La French Fab doit se mettre en mouvement et nous voulons en être les moteurs en fédérant tous les acteurs de l’industrie, de la formation jusqu’à l’entreprise. L’industrie française doit construire son «écosystème» alliant formation, recherche et production et réunissant l’ensemble des acteurs de la filière dans un dialogue permanent. Cela revient à assumer enfin la refondation d’une filière de formation et de recherche d’excellence technologique par la création d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche ouvertement dédiés à la technologie. Des lieux ouverts construisant leur offre et développant leur activité dans des partenariats repensés avec le monde industriel, réellement partie prenante de leur développement.
Il faut des clubs French Fab dans tous les territoires. Mettons en avant nos «champions» qui attireront les jeunes vers une filière technologique totalement repensée. Car comment revaloriser les métiers de l’industrie lorsque celle-ci est encore perçue comme une voie d’orientation par défaut pour des milliers de collégiens et lycéens ? La réforme de l’apprentissage est de ce point de vue un levier important.
Nous devons amener les jeunes à redécouvrir ces territoires inconnus de l’industrie. Nos entreprises sont partout en France. Nous devons leur donner le goût de les découvrir. C’est le projet, que nous portons aux côtés de l’État et des industriels, de «volontariat territorial en entreprise», véritable VIE à l’échelle du pays et au service des PME. Nous dessinons le rêve de voir des milliers de jeunes diplômés chaque année commencer leur vie professionnelle dans les territoires au sein d’une PME. Leur employabilité en sera considérablement augmentée et l’expérience acquise les portera toute leur vie.
C’est de cela dont nous avons manqué, d’enthousiasme industriel ! Les grands «moments fédérateurs» autour de notre industrie sont en train d’arriver : le salon Global Industries, l’expo usine extraordinaire au Grand Palais, à Paris, et, récemment, le French Fab Tour qui a parcouru la France en 60 étapes pour aller à la rencontre des Français, sans oublier le rendez-vous annuel de la semaine de l’Industrie, une fête autour des valeurs du coq bleu.
Une révolution industrielle, c’est une occasion rare de développement. Elle doit être liée au progrès social et nous devons saisir cette chance. Nous ne pouvons déclencher cet élan que si nous nous y mettons tous : entrepreneurs, décideurs, professeurs, État, Régions ou fédérations professionnelles.
Nicolas Dufourcq, DG de BPI France, et Alexandre Rigal, DG délégué d’Arts et Métiers Paris Tech