Changer le regard de son entreprise sur soi

Un salarié doit savoir évaluer son «gap», c’est-à-dire le décalage entre la perception que l’entreprise a de lui et ses aptitudes intrinsèques. À défaut, des déceptions sont créées, menant parfois au licenciement. Cette dissonance se travaille.

Illustration : Fabienne Legrand

«Votre entreprise vous a recruté pour vos compétences», écrit Joëlle Planche-Ryan, coach et responsable du développement du pôle Carrières d’Arts et Métiers Alumni, dans son livre «Boostez votre parcours professionnel avec le Mind Mapping». «Elle souhaite que vous réalisiez votre travail conformément à ses attentes. Pour réussir à votre poste, vous devez donc décoder ces attentes-là et entendre les non-dits. Vous y parviendrez d’autant plus facilement que celles-ci sont explicites, vos objectifs atteignables et la communication fluide. Or, votre entreprise ne réunit pas forcément ces conditions idéales. C’est là que le bât blesse, car l’unique mesure du “gap” [terme anglais signifiant “écart”, “fossé”, NDLR] se situe dans la perception de votre entreprise, et non dans la vôtre. Si elle ne vous estime pas à la hauteur de ses attentes, elle percevra un “gap”, réel ou non, même si vous estimiez avoir réussi votre mission.» Au final, plus l’écart est grand, plus le risque d’une déconvenue, voire d’un renvoi, est réel.
Il existe deux familles de déclencheurs de «gap» : le personnel et l’institutionnel. Arrêtons-nous sur la première. La seconde sera développée dans un prochain article.

Mesurer le fossé, connaître les risques

Les trois sources personnelles du «gap» sont à chercher dans le comportement, les écarts de parcours et la stratégie de départ. Dans le premier cas, qui concerne le comportement, on peut loger cinq items : dans l’ordre, la personnalité (de facile à difficile) ; la position dans l’entreprise (d’«outsider» à responsable) ; la perception des autres (de l’indifférence à l’empathie) ; l’attitude face à l’autorité (de pro à anti-hiérarchie) ; et l’implication dans le travail (de partageur à indépendant, jusqu’à en ignorer les autres). Vous n’êtes évidemment ni totalement blanc ni totalement noir. Entre les deux, l’échelle des gris est très riche. Mais, à l’évidence, plus on se rapproche du noir, plus on se met en danger.
Dans les écarts de parcours, deuxième source de «gap» personnel, on relève également cinq items : la survente du parcours, un choix de carrière inadapté, un poste transitoire mal toléré, les séquelles d’expatriation et, enfin, le partage des valeurs (ou non) de l’entreprise. Pour le troisième point, la stratégie de départ, vous êtes le maître du jeu, contrairement aux deux précédents. L’objectif est de provoquer une rupture conventionnelle, un licenciement ou un changement de poste en créant un «gap» par un travail moins appliqué, des échéances non tenues, des absences répétées, etc.
En s’interrogeant méthodiquement sur chacun des points cités ci-dessus et en y répondant objectivement (c’est le plus difficile), on parvient à mieux se positionner dans l’entreprise et, cerise sur le gâteau, à mieux se connaître.

Les six facettes du «gap»

Identifier les sources du «gap» ne suffit pas, il faut aussi l’évaluer, ce qui n’est guère facile. Voici les six facettes à explorer.
– L’expertise : croire qu’on est l’homme de la situation parce qu’on fait bien son travail est une erreur courante. Il faut être attentif à ce point d’autant plus que votre entreprise évolue, comme votre poste.
– L’intelligence émotionnelle : à quotients intellectuel et émotionnel égaux, c’est ce dernier qui fait la différence. L’intelligence émotionnelle est indispensable aux quatre facettes suivantes.
– Le management : manager, c’est avoir une vision stratégique, un goût pour le leadership, une aptitude à déléguer, etc. Rater l’une de ces qualités, c’est créer un fossé.
– La culture d’entreprise : il s’agit d’adhérer aux façons de faire explicites et implicites de l’entreprise. Ceux qui n’entrent pas dans le moule et ne jouent pas les scénarios acceptés par tous sont mal tolérés.
– Le sens politique : à quelle place suis-je ? Je dois connaître la place des autres afin de leur faire partager mes envies et mes projets. En effet, la réussite de vos projets dépend en partie de votre capacité à vous intégrer habilement dans votre entourage (pairs, collaborateurs, supérieurs).
– L’engagement : votre désaffection ou vos problèmes personnels, surtout s’ils durent, peuvent menacer votre place. Le «gap» survient lorsque l’entreprise perçoit le changement et estime que celui-ci devient pénalisant.

Pour estimer votre «gap» global, servez-vous régulièrement de ces trois évaluations. «Ma performance dépasse les attentes de mon entreprise» : mon «gap» est négligeable. «Ma performance est égale aux attentes» : mon «gap» est sous contrôle. «Ma performance ne répond pas aux attentes» : mon «gap» est sérieux. Dans ce dernier cas, vous avez deux options : rester et vous réaligner sur les attentes de votre entreprise, ou partir en adoptant la meilleure stratégie de départ.