Élaborez vorte storytelling

Pour éviter que vos confrères et patrons racontent votre «histoire», emparez-vous du sujet et construisez vous-même votre récit, conforme à l’image que vous souhaitez donner de vous.

Dans votre environnement professionnel, la façon dont les autres vous perçoivent compte au moins autant que le travail que vous accomplissez. Depuis la nuit des temps, nous nous percevons et nous stimulons au travers d’histoires qui nous relient à nous-même et à autrui. Les entrepreneurs cocréent et véhiculent eux-mêmes les histoires qui circulent dans leur société. Bref, le «storytelling» est la manière de partager des récits en aménageant les faits bruts pour les rendre attrayants. Par exemple, «la reine mourut et le roi aussi» s’enrichit d’émotion si on l’énonce ainsi : «La reine mourut et le roi, le cœur brisé, ne lui survécut pas.»

Donnez un sens à votre histoire

Dans les années 90, le scientifique Giacomo Rizzollati et son équipe ont découvert que nos neurones miroirs nous permettent de ressentir les sensations d’autrui comme si elles étaient les nôtres. «Sources de résonance et d’empathie, ils nous ouvrent aux autres. Sans ces neurones miroirs, nous serions hermétiques aux “stories” même bien racontées, à leurs intentions et à leur sens», analyse Joëlle Planche-Ryan, responsable du développement du pôle Carrières de la Société des ingénieurs Arts et Métiers(1). Une découverte plus récente du linguiste et spécialiste des sciences de la cognition Mark Turner démontre que le cerveau est programmé pour traiter la plupart des informations sous forme d’histoires et que les expériences, la pensée et le savoir s’organisent ainsi. «Plus nous entendons les faits sous forme d’histoires, mieux nous les emmagasinons. Et plus ces histoires font sens, mieux nous les mémorisons», souligne Joëlle Planche-Ryan.

Pourquoi raconter votre récit personnel ? Si vous ne le racontez pas vous-même, les autres s’en chargeront. Or, c’est à vous de donner un sens à ce qui vous est arrivé et de l’imposer. Votre récit est votre vitrine et, aux yeux des autres, vous êtes votre histoire. «Une “story” n’est pas ce qui vous est arrivé, mais la façon dont vous relatez les faits», résume Joëlle Planche-Ryan. Elle fournit des indices sur votre vision des choses, votre niveau d’ouverture au changement, votre taux de réactivité et votre place dans le groupe. Pour construire vos récits, partez des faits et déroulez un fil directeur qui enrichit le «contexte d’émotions». Vous donnerez ainsi corps à votre expertise, vos valeurs et votre trajectoire en vue de les rendre lisibles, cohérentes et mémorables. C’est de l’autopromotion, du buzz positif.

Dans le cas d’un vécu difficile

Pour élaborer votre récit personnel, vous devrez réinventer ou, mieux, régénérer les événements de votre vie. C’est particulièrement pertinent lors de transitions, en poste ou entre deux postes, pour tirer le fil conducteur de son histoire, à un moment où il semble caché. Si votre situation est difficile à vivre, si vous vous demandez quelle narration positive vous pourriez bien vous raconter et tendre aux autres, revisitez-la au travers de prismes qui vous aideront à trouver un angle plus constructif.

 

Le prisme du verre à moitié plein

Le prisme de l’autre Le prisme de l’apprentissage le prisme du paradoxe

Racontez-vous une version valorisante sans dénaturer les faits, afin de dépasser vos réactions de défense. Quels sont les faits ? À quoi font-ils écho dans votre histoire ? Isolez l’écho négatif et redémarrez du bon pied.

Mettez-vous à la place de votre détracteur pour comprendre son filtre et votre part de responsabilité.

Interrogez-vous sur
ce que, malgré vos émotions négatives, vous pouvez apprendre de cette expérience.

Réinterprétez votre situation traumatique comme une bifurcation de vie où coexistent perte et gain, vulnérabilité et courage, tristesse et gratitude, puis articulez positivement les principes engendrés par ce paradoxe — votre équilibre, votre sens des responsabilités, etc. 

Créez votre kit de base

Construisez-vous différentes histoires, plus ou moins longues, à adapter au moment. Attention ! Votre récit n’est pas une version condensée de votre CV ! Préparez-vous à être naturel et percutant, à l’oral comme à l’écrit. N’oubliez pas que les artistes répètent longtemps avant de jouer. Ancrez chacun de vos récits dans celui, plus large, de votre entreprise pour augmenter votre crédibilité professionnelle.

Créez-vous d’abord un récit de 2 minutes qui réponde à la question «parlez-moi de vous». Trouvez votre fil conducteur : qui êtes-vous ? comment agissez-vous ? quelle est votre trajectoire ? quelle est votre valeur ajoutée ? Intégrez les étapes et virages de votre carrière de façon fluide et positive, même si vous les ressentez comme des échecs ou des ruptures. Illustrez de réalisations marquantes et de résultats quantifiés et qualifiés.

Arts et Métiers mag : créer son stroy telling
Illustration Fabienne Legrand

Élaborez ensuite un récit de succès de 20 à 30 secondes pour décrire une réalisation marquante. Fournissez d’abord le contexte, l’enjeu ou le cadre. Puis décrivez votre rôle, poursuivez avec le problème à résoudre, évoquez les freins à lever, décrivez les actions mises en place et, pour finir, énoncez les résultats. Enfin, façonnez-vous un mini-récit de 5 secondes en 15 mots. Cette phrase courte doit vous décrire, tout en étant mémorable. Elle doit provoquer un effet chez l’auditeur. Ne dites pas «je suis scientifique chez W», dites «je suis expert du proton délivrant de très gros projets dans les temps et les budgets». Ne dites pas «je suis développeur chez Z», dites «je suis un programmeur délivrant des solutions innovantes et efficaces grâce à .net et SQL». Quel que soit votre employeur, cette phrase de 15 mots vous définit sur deux points essentiels : votre expertise et votre cible.

Quand se raconter ?

Quand vous voulez reprendre la main ou compléter ce que les autres savent de vous, développez l’un de vos chapitres professionnels dans le détail en narrant un succès marquant. Lors d’un démarrage de poste, de projet, chez de nouveaux clients ou avec de nouveaux collègues, pour mieux vous faire connaître. Pour assurer votre transition future auprès de confrères. Pour vous vendre en entretien d’embauche, en réponse au sempiternel «parlez-moi de vous», amorcez avec votre récit personnel de 2 minutes et parachevez par une ou plusieurs histoires de réalisation marquante de 20 à 30 secondes chacune, pour bâtir un fil conducteur qui vous placera en adéquation avec le poste visé.

Lors des discussions, contentez-vous d’écouter ou de questionner pendant 80 % du temps. Retenez la règle du 5/20/120 élaborée par Daniel Porot, expert de la gestion de carrière et de la recherche d’emploi en Europe : si un interlocuteur s’intéresse à vous, demandez-lui en 5 secondes ce qui l’intéresse spécifiquement, répondez en 20 secondes, puis relancez-le avec une question. S’il demeure curieux, répondez cette fois avec votre récit personnel de 2 minutes, soit 120 secondes.

(1) Coauteure avec Stéphanie Vasen de «Boostez votre parcours professionnel avec le mind mapping», éd. Eyrolles, fév. 2014.