“La révolution énergétique est une révolution protéiforme”, Corinne de Bilbao

Acteur mondial de premier plan de l’industrie énergétique, General Electric (GE) est aux premières loges pour observer les bouleversements que traverse ce secteur vital pour l’humanité. Sa représentante en France, Corinne de Bilbao, en dessine avec clarté les enjeux et les perspectives d’évolution.

AMMag – Le secteur de l’énergie évolue à grande vitesse. Quelle est votre lecture de cette mutation ?
Corinne de Bilbao – Avant de parler de transition énergétique, rappelons les données macro-économiques qui permettent d’éclairer les enjeux en cours. Sur la planète, il y a encore 1,3 milliard d’habitants qui n’ont pas accès à l’électricité. Parmi eux, 95 % vivent en Asie et en Afrique subsaharienne. De leur côté, les classes moyennes des pays émergents vont accroître leur consommation. Elles utiliseront, par exemple, plus d’air conditionné, une commodité énergivore. Simultanément, certaines activités connaîtront une électrification plus importante, à l’image des transports. Aujourd’hui, ce secteur représente quelque 25 % de la consommation d’énergie mondiale, à 75 % grâce au diesel et à l’essence quand l’électricité représente moins de 1 % de l’énergie utilisée. À l’évidence, les besoins en électricité vont augmenter. D’ici à 2026, on prévoit une croissance de la consommation électrique mondiale de l’ordre de 26 %. La transition énergétique ne se fera pas du jour au lendemain. D’ici à 2030, les deux tiers de l’énergie seront encore produits à partir d’énergies fossiles. Quant à l’énergie nucléaire, elle représente 10 % du bouquet énergétique mondial et 70 % de l’électricité en France. En Europe, on ferme des centrales nucléaires, mais ailleurs dans le monde on continue d’en ouvrir, notamment en Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient. GE fabrique d’ailleurs à Belfort la turbine conventionnelle Arabelle, la plus puissante du monde, qui équipe la moitié du parc nucléaire mondial. Donc, même si on assiste à une accélération de l’adoption des moyens de production d’énergies renouvelables, la transition énergétique prendra du temps.

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Si l’on constate une accélération des capacités de production des énergies vertes, la transition énergétique prendra du temps. 70 % de l’électricité fournie en France provient encore des centrales nucléaires. Ici, la turbine à gaz 9HA mise en service dans la centrale EDF à cycle combiné de Bouchain (Nord). Construite sur le site GE de Belfort, c’est la plus grosse du monde (600 MW). Avec un rendement de 62 %, le plus élevé dans sa catégorie, elle figure dans le «Guinness des records».

AMMag – Mais un changement structurel a eu lieu en 2016…
C. de B. – En effet, en 2016, les commandes de capacités de production d’énergie «verte» ont, pour la première fois, été supérieures au niveau mondial à celles d’énergie fossiles. On observe donc une véritable accélération vers l’énergie «verte». En effet, plus de 60 % des capacités de production d’énergie nouvellement installées sont renouvelables. Autre changement important : les énergies renouvelables ne sont plus aussi massivement subventionnées qu’auparavant par les gouvernements. La fin des financements publics leur donne une place de plein droit sur le marché énergétique. Ceci est dû à deux phénomènes : les avancées technologiques et le système d’enchères. Depuis 2009, les coûts de l’éolien maritime et terrestre ont diminué de plus de 60 %. Cette forte baisse rend accessible cette énergie renouvelable, qui passe du statut d’énergie d’appoint à celui d’énergie de base. C’est une transformation structurante.

Un autre phénomène doit être considéré : la décarbonisation(1). Ici, on élargit le spectre car il n’y a pas que les énergies renouvelables qui peuvent être prises en compte. En effet, GE a mis au point de nouvelles technologies capables de décarboniser les énergies fossiles en diminuant les rejets de CO2 des centrales à gaz et à charbon.

AMMag – Quel est le rôle du numérique dans cette évolution ?
C. de B. – Il se révèle être un excellent allié de l’efficacité énergétique. En effet, la numérisation permet à la fois de mieux opérer les actifs et d’augmenter les rendements énergétiques. Par exemple, l’emploi de logiciels couplés aux prévisions météorologiques optimise l’exploitation des éoliennes. Leur rendement peut être accru de 10 % à 20 % par an.

Dernière transformation majeure : le profil des clients change. Ils ne se résument plus aux seuls énergéticiens. Ce sont aussi des entreprises grosses consommatrices d’énergie. Parmi elles, les exploitants des grands centres de données. Nous avons, par exemple, signé un contrat avec Microsoft en Irlande.

Enfin, nous sommes en train de passer d’un marché centralisé fondé sur les énergies fossiles à un marché distribué fondé en grande partie sur les renouvelables. La transformation que nous vivons est tout simplement une révolution.

«Encourageons les femmes à faire carrière dans l’industrie»

AMMag –Quels sont vos engagements pour une plus grande féminisation des emplois industriels en France ?
Corinne de Bilbao – L’industrie est, en effet, une activité essentiellement masculine, mais les lignes bougent car les entreprises se rendent compte que la diversité est indispensable à l’innovation et à la transformation. Mais cela ne va pas assez vite à mon goût. GE est très impliquée, notamment à travers le programme mondial «Balance the Equation», que j’aime traduire par «Rétablir l’équation».  Nous travaillons sur trois volets : le recrutement, le mentoring et l’action extérieure. En matière de recrutement, nous essayons de diversifier les profils des salariés, notamment au niveau des écoles d’ingénieurs. Nous cherchons à privilégier celles qui ont une représentativité féminine élevée. En amont, nous intervenons dans les collèges et les lycées où le stéréotype des genres est encore prégnant. Nous essayons de montrer aux filles que l’industrie comporte des métiers qui peuvent les intéresser afin de les inciter à s’y engager. J’ai bon espoir car, aujourd’hui, 40 % des data-scientistes de la Digital Foundry (centre de R&D de GE, NDLR), sont des femmes. Par ailleurs, GE France a décliné le réseau «Women’s Network» : une femme sur trois y adhère via huit «hubs» en France. Elles échangent et agissent auprès d’autres entreprises, les établissements scolaires, les associations…

L’action extérieure, notre troisième volet, a l’ambition d’aborder le sujet des femmes dans l’entreprise et de les aider à porter leur voix, de préférence dans les lieux où le déficit est flagrant. Pour finir, je rappelle qu’un quart des emplois, sur les 16 000 salariés de GE en France, sont occupés par des femmes. Ce n’est pas encore assez, mais nous travaillons sans relâche pour rétablir l’équation.


(1)
L’ensemble des mesures et techniques qui visent à réduire la teneur en carbone, plus spécifiquement en CO2.