
Les pionniers de la photographie, à l’instar de Niepce ou Daguerre, ont rapidement compris que l’utilisation de lentilles serait bien plus efficace qu’un simple trou dans la chambre noire. L’objectif photographique allait permettre de concentrer la lumière sur la surface sensible et donc de gagner en temps de pose. Ce système optique formé de plusieurs lentilles se caractérise par sa distance focale, son ouverture maximale et le format de la surface sensible (film ou capteur) envisageable. De nombreux objectifs existent, depuis le grand-angle jusqu’au téléobjectif en passant par le «standard», voisin de la vue humaine. En 1950, on ne savait pas adapter un objectif grand-angle aux boîtiers reflex mono-objectif (servant aussi bien à la visée qu’à la prise de vue). En effet, l’objectif étant constitué d’une lentille unique, sa focale est la distance entre le centre de cette lentille et le plan du film ou du capteur permettant de donner une image nette d’un objet éloigné. Or, sur un appareil photo reflex, la distance entre le plan du film ou du capteur et la bague de fixation de l’objectif reste incompatible avec la présence du miroir incliné qui sert à la visée et doit s’escamoter lors de la prise de vue. En imaginant le «téléobjectif inversé» ou Retrofocus, dans lequel les lentilles principales, déplacées vers l’avant, sont précédées par un groupe divergent (voir schéma ci-contre du système optique), Pierre Angénieux résout ce problème. Son invention est à l’origine du développement universel des boîtiers photographiques 24 5 36 reflex à objectifs interchangeables. Cinquante ans après, le modèle demeure sous l’appellation «retrofocus», devenue un nom commun planétaire.
Le zoom à compensation mécanique : un exploit
La seconde innovation majeure, signée Angénieux, sera le zoom en 1956. Il s’agit de réaliser un objectif à «focale variable» de façon continue, débarrassé des imperfections de ses prédécesseurs. Le zoom remplace à lui tout seul toute une panoplie d’objectifs à focale fixe, du grand-angle au téléobjectif. Pour y parvenir, Pierre Angénieux écarte le système à compensation optique de Roger Cuvillier au profit de la compensation mécanique (aujourd’hui universellement adoptée). L’invention du zoom est un véritable exploit technologique, car affirmé impossible par les grands opticiens allemands Leitz-Leica et Zeiss, assorti d’une réussite commerciale exceptionnelle à mettre au crédit du duo d’inventeurs : le maître, Pierre Angénieux ; et l’élève, André Masson. Ce dernier, major de sa promotion ESO 1948, a rejoint l’entreprise Angénieux en 1952 pour compléter son apprentissage. Il comptait y passer trois ans ; il y est resta trente-six ans.

Le zoom comporte plusieurs groupes de lentilles dont certains sont mobiles : ce qui permet d’en faire varier la distance focale entre deux valeurs extrêmes. Si un bloc optique fortement convergent ou fortement divergent se déplace d’avant en arrière, de telle manière que dans une position extrême le bloc avant de l’objectif soit globalement divergent et le bloc arrière globalement convergent alors que dans l’autre position extrême le bloc avant de l’objectif sera convergent et le bloc arrière divergent, on aura dans le premier cas un grand-angle et dans le second un téléobjectif. La longueur totale de l’objectif change lors de la variation de focale.
L’apparition du zoom est une avancée considérable pour le monde de la photographie, le cinéma et la télévision. Après le succès du premier zoom Angénieux, amplitude 4, qui sera livré à 70 000 exemplaires, sortiront des zooms pour caméra de 8 mm à la cadence de 4 000 par mois. Et l’amplitude continuera à progresser : de 10 en 1961, pour le 16 mm puis le 8 mm et le super 8 mm ; à 42 en 1976 ! Le zoom de rapport 42 (35 lentilles), capable de passer de la vision complète d’un stade de football à celle du numéro sur le maillot d’un joueur, a fait le bonheur des téléspectateurs lors des jeux Olympiques de Moscou en 1980.
En optant pour le calcul trigonométrique et la détermination des rayons lumineux «pertinents», Pierre Angénieux révolutionne les méthodes de calcul optique. L’aventure industrielle du Retrofocus et des zooms à la marque Angénieux peut alors commencer. Pierre Angénieux entre en 1925 à l’École des Arts et Métiers de Cluny et en 1928, son diplôme en poche, rejoint l’École supérieure d’optique fondée en 1920. Après son service militaire à la Compagnie de météorologie, il entre chez Pathé. C’est l’âge d’or du cinéma, en pleine évolution technique : arrivée du cinéma sonore en 1927, motorisation des caméras et projecteurs, recherches sur la couleur… Ce passage chez Pathé l’introduit dans le monde du cinéma, qu’il ne quittera plus. Il fonde son entreprise en 1935, sous la forme d’un petit atelier, rue Henri-Murger à Paris, près des Buttes-Chaumont, et se tourne vers le marché du cinéma professionnel. Sa réputation auprès des opérateurs et des cinéastes, dont les prestigieux Renoir et Abel Gance, pour qui Pierre Angénieux réalise de nombreux procédés, fait de son établissement un lieu de rendez-vous des hommes du septième art. |