Ne cachez pas vos erreurs, gérez-les

La multiplication d’erreurs managériales peut engendrer des crises au sein des organisations, voire leur disparition. S’il est vain de vouloir éradiquer les erreurs, il est possible de les repérer très tôt pour en gérer les conséquences, anticiper leurs conséquences potentielles et prendre des décisions adaptées.

Quel est le point commun entre l’ancienne banque belge Fortis, le constructeur automobile Volkswagen et la Société générale ? Ces trois grandes entreprises, solides et prestigieuses, ont traversé des crises sérieuses liées à des erreurs de management. Certains de leurs dirigeants ont été mis en accusation et contraints de démissionner, faute d’avoir pu ou su redresser la barre. Malgré la fréquence et l’importance du phénomène, peu de recherches en management se sont, jusqu’à présent, intéressées à ces problématiques. La chaire Baillet-Latour sur le management des erreurs, créée il y a deux ans au sein de la Solvay Brussels School of Economics & Management, entend apporter son expertise scientifique. «La plupart des “business schools” abordent la question des erreurs sous l’angle de “comment les éviter” mais pas sur la manière de les gérer», insiste Vincent Giolito, chercheur à Solvay, en charge des études de la chaire dirigée par Paul Verdin, professeur de stratégie et organisation à l’école belge.
Selon Vincent Giolito, dans toute organisation, quel que soit le niveau de précaution et de compétence des collaborateurs, des erreurs surgissent et des règles sont détournées. «Dans le moindre fichier Excel d’une organisation, vous pouvez être sûr que des erreurs ont été commises, surtout s’il existe des calculs comme des totaux ou des moyennes. Des études révèlent qu’un pilote d’avion fait 3 ou 4 fautes par heure», souligne le chercheur.

Grosse boulette à la banque

Si certaines erreurs sont anodines, d’autres peuvent menacer la survie d’une entreprise ou affaiblir son positionnement concurrentiel. Ainsi en est-il allé pour la banque Fortis, dont le cas est analysé en cours par Vincent Giolito. Cette dernière était, jusqu’à la crise des prêts hypothécaires à risque («subprimes») de 2008, une importante et prestigieuse institution financière du Benelux. En 2007, ses dirigeants décident d’acquérir leur homologue et concurrente néerlandaise, ABN Amro, pour plus de 20 milliards d’euros, alors même que cette dernière représentait une «proie» de taille équivalente à celle de la partie strictement bancaire de Fortis. «Cette acquisition avait été décidée alors même que le financement n’était pas complètement assuré et que les subprimes étaient un risque grandissant», rappelle Vincent Giolito. Attaquée sur les marchés, Fortis se retrouve rapidement en sévère déficit de liquidité, son cours de Bourse chutant à 5 euros fin septembre 2008 (contre 30 euros en 2007). «Or, aucun “chief risk officer” n’officiait plus pour la banque depuis plusieurs mois. Ce collaborateur clé aurait pu tirer le signal d’alarme à temps», détaille le chercheur.
Si des erreurs sont inévitables, comment les gérer lorsqu’elles surviennent, alors que le réflexe naturel consiste à les cacher (syndrome de culpabilité), à se murer dans le déni ou, plus grave, à rejeter la responsabilité sur autrui ? «Plus l’alerte est donnée tôt, plus il est facile de gérer l’erreur, en interne comme en externe», pointe Vincent Giolito. Si, à la Société générale, le superviseur de Jérôme Kerviel avait informé sa hiérarchie des dérives constatées, le problème aurait sans doute été vite résolu. Il importe donc d’évaluer les signaux anormaux dès qu’ils surgissent, de repérer les déviations et d’extrapoler à partir de ces signaux. Ensuite ? Après cette phase d’évaluation, les dirigeants doivent impérativement reconnaître les erreurs, puis prendre les mesures nécessaires. «Aux États-Unis, en cas d’accident opératoire, les hôpitaux qui reconnaissent leur responsabilité paient moins de dommages et intérêts que leurs concurrents et sont donc plus profitables.»

Libérer la parole, protéger les lanceurs d’alerte

Si l’erreur est inévitable, et même indispensable dans une logique d’innovation (l’innovation par l’erreur, l’erreur intelligente), il convient, affirment certains spécialistes, de libérer la parole et de fluidifier la communication au sein des sociétés, notamment au plus haut niveau. «Les comités de direction devraient davantage libérer la parole en leur sein, notamment vis-à-vis de ceux qui sont placés moins haut dans la hiérarchie et qui, fatalement, n’osent pas forcément s’opposer aux orientations stratégiques», estime Jean-Pierre Bizet, ancien directeur général de différentes entreprises et professeur de stratégie à la Solvay Brussels School. «Ces salariés devraient disposer d’une véritable liberté de parole pour signaler des dysfonctionnements et, ainsi, éviter des erreurs. Des études américaines démontrent que les accidents d’avion sont plus fréquents lorsque c’est le commandant de bord, et non le copilote, qui est aux commandes. Pas parce qu’il est mauvais, mais parce que le copilote n’ose guère contredire son supérieur hiérarchique.»
Autre solution à développer : le lanceur d’alerte. Dans une soixantaine d’États (selon Transparency International France), une législation oblige les grandes entreprises à instaurer un processus formel permettant à tout salarié de signaler un problème ou de dénoncer un comportement jugé inapproprié, et ce, dans l’anonymat le plus strict — par exemple, en téléphonant à un numéro hébergé dans un cabinet externe à l’entreprise et tenu secret par contrat. «La personne qui utilise cette faculté a ainsi l’assurance de ne pas être inquiétée. Cette démarche va incontestablement dans la bonne direction», explique Jean-Pierre Bizet.

Bienvenue dans la vie «normale»…

Avoir conscience que les erreurs font partie de la vie «normale» de l’entreprise permet de corriger la trajectoire en temps utile. Au pire, leur bonne gestion permet de remédier aux conséquences les plus graves. Au mieux, vous découvrirez des opportunités jusque-là insoupçonnées.

à FAIRE

> Imaginez les conséquences des erreurs. Quand vous détectez une déviation entre ce qui a été fait et ce qui aurait dû être fait, analysez-la d’abord comme le fruit involontaire de décisions prises par des personnes a priori de bonne foi. Cependant, exercez-vous à projeter quelles conséquences cette erreur pourrait avoir dans le pire des scénarios.

> Reconnaissez-les. Tout le monde commet des erreurs – vous aussi certainement ! En admettant que votre unité, votre équipe a commis collectivement une erreur, vous vous donnez les meilleures chances de la mobiliser pour la corriger.

à ÉVITER

> Pointer du doigt un coupable. Les erreurs arrivent seulement dans leur contexte. Désigner un coupable suscite ou renforce les sentiments de peur et les réflexes de déni et de dissimulation.

> Espérer que «ça va s’arranger». Il y a autant de chances pour que la situation issue d’une erreur «s’arrange» ou se détériore. Espérer une amélioration spontanée détourne l’attention du problème et renforce la probabilité d’une catastrophe. n

Par Joëlle Planche-Ryan, coach au sein du pôle Carrières d’Arts et Métiers Alumni