René de Marmier, monté au front

Le gadzarts René de Marmier n’aura jamais pu être ingénieur. Pris dans la tourmente de la Première Guerre mondiale juste après son service militaire, cet aviateur meurt à 23 ans à bord de son Nieuport 17.

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Affecté le 1er avril 1915 à l’escadrille VB 110 dans le secteur de Verdun, René de Marmier pilote un Voisin de type III, un bombardier monomoteur d’une puissance de 130 chevaux.
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René de Marmier (Cl. 10).
Naissance
Le 5 septembre 1893,
à Belfort.
Carrière
Décembre 1913 Brevet de pilote civil.
Janvier 1914 Affectation au 1er groupe d’aviation.
Août 1914 Mobilisé pour la Première Guerre mondiale, entraînement à Avord (Cher).
Avril 1915 Brevet de pilote militaire.
Juin 1915 Première citation.
Décembre 1915 Rejoint une escadrille de chasse.
Juin 1916 Citation à l’ordre du 4e groupe, promu adjudant.
Novembre 1916 Médaille militaire.
Décès
Le 20 novembre 1916,
à Morlancourt (Somme).

Paul René, dit René, naît le 5 septembre 1893 à Belfort, à l’époque englobée dans ce qu’on appelait «l’arrondissement subsistant du Haut-Rhin» (après la défaite de 1871, le reste de l’Alsace était allemand). Ses parents ne sont pas mariés et René est déclaré sous le nom de sa mère, Marie Adèle Picaud. C’est le deuxième enfant qu’elle a avec le marquis François Raynald de Marmier, descendant d’Isabelle 1re la Catholique et d’autres têtes couronnées telles que Marie de Médicis ou Jacques II. D’ailleurs, le grand-père, Raynald, duc de Marmier, réside encore au château de Ray-sur-Saône (Haute-Saône).

Ce n’est qu’en 1895 que François-Raynald de Marmier reconnaît ses deux fils et leur donne son nom. L’aîné, François, a 3 ans et René 2. Le marquis ayant été muté en 1894 au 138e régiment d’infanterie à Bellac (Haute-Vienne), le couple et ses deux enfants se sont installés un an plus tôt à Bellegarde-en-Marche (Creuse), sur les terres de la famille Picaud, creusoise depuis le XVIe siècle. Deux autres enfants viennent agrandir la famille : Rose naît en 1896 et Alexandre Léonel, dit Lionel, en 1897. Les trois garçons deviendront tous pilotes militaires — François décédera en 1932 et Lionel en 1944.

 


Combattants de père en fils

Tout juste sorti de l’École d’Arts et Métiers de Cluny(1), l’ingénieur René de Marmier, de la «classe 1913», est recruté pour le service militaire à Guéret (Creuse). C’est un blond aux yeux bleus, qui mesure 1,65 m. Fin novembre 1913, il est incorporé au 3e groupe aéronautique. Il apprend, en même temps, le pilotage dans le civil et obtient son brevet à bord d’un Nieuport, le 5 décembre 1913. Trois semaines plus tard, il est affecté au 1er groupe d’aviation. Mais, le 1er août 1914, c’est la mobilisation générale : René est enrôlé pour combattre l’Allemagne. Il a 20 ans. Son aîné, François, est déjà pilote. Leur père, capitaine d’infanterie, sera le premier officier tué au combat, le 25 août 1914, à 48 ans. René poursuit son entraînement de pilote militaire à Avord, dans le Cher. Il est breveté le 1er avril 1915. Pilotant un Voisin, il se joint à l’escadrille de bombardement VB 110, dans le secteur de Verdun. En avril 1915, son frère François, 22 ans, pilote à l’escadrille VB 105, a le pied gauche arraché en vol par un éclat d’obus. Il parvient à poser son avion et survivra à l’amputation.

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C’est à bord d’un Nieuport 17 comme celui-ci que le jeune homme de 23 ans sera tué en novembre 1916 après avoir rejoint l’escadrille de chasse N112.

René est nommé caporal le 24 avril 1915 et combat sur le front d’Artois (lire l’encadré ci-contre). Il est promu sergent le 13 juin 1915 et reçoit sa première citation : «En allant bombarder la gare de Busigny (Nord) a reçu, en passant les lignes, quatre éclats d’obus dans son appareil. N’a cependant fait demi-tour qu’après avoir trouvé un autre objectif et y avoir lancé tous ses projectiles.» Le 10 novembre, il est de nouveau cité à l’ordre de l’Armée. Le 1er décembre 1915, René quitte l’escadrille de bombardement et rejoint l’escadrille de chasse N112. Il combat alors à bord d’un Nieuport. Le 29 juin 1916, il est cité à l’ordre du 4e groupe et promu -adjudant. Après une nouvelle citation le 10 octobre pour 101 missions aériennes et 186 heures de vol, il est décoré de la médaille militaire le 19 novembre 1916.

Le lendemain, de retour de mission à Chipilly (Somme), le Nieuport 17 que pilote René de Marmier entre en collision avec un Farman 42 au décollage. Les deux appareils s’écrasent ; les trois jeunes occupants sont tués. Mort pour la France à 23 ans, décoré de la croix de guerre, René de Marmier repose dans le cimetière de Bellegarde-en-Marche, dans la Creuse. Quatre mois plus tard, son jeune frère Lionel, 19 ans, sera breveté pilote et intégrera l’escadrille N 112 dans laquelle servait René.

retour-reconnaissanceRécit d’un bombardement en mai 1915

Dans «Impressions d’un bombardier», édité en 1931, Georges Desgrandschamps évoque son «baptême du feu» du 31 mai 1915 .

«Aujourd’hui, réveil à 4 heures, on part aussitôt que possible. Je vais trouver René de Marmier :
“— Dis donc, mon vieux, je voudrais bien aller un peu visiter les tranchées boches, moi aussi. Je n’ai pas encore d’affectation bien régulière, mais veux-tu m’accorder cette petite promenade ?
— Volontiers, me répond-il, avec le sourire d’un grand d’Espagne. […] Habillons-nous.
— Je suis équipé depuis un quart d’heure !”
«Je monte dans la nacelle, le mécanicien me fait passer les obus un à un. Pas de lance-bombes. Bah ! S’il y a des “coups de tabac”, on n’a qu’à retenir son tas d’explosifs d’une main : on les pose gentiment à côté de soi, comme on caserait un bébé dans une limousine, on les soigne comme de très précieuses “petites choses” jusqu’au moment où on les expulsera par-dessus bord.
«Pas de mitrailleuse non plus, mais un simple mousqueton ; les avions ennemis ne sont sans doute ni méchants ni nombreux : c’est une petite promenade que je vais faire. Et puis, c’est mon baptême du feu et j’ai la foi du néophyte. […]
“— Lâche tout sur le petit bois pendant la -spirale.”
«Un à un, je saisis mes projectiles à pleine main et je les lance de toutes mes forces, de tout mon cœur, comme si j’avais la naïve certitude qu’ils feront ainsi plus de mal… Je me surprends à ricaner comme un Méphisto. Voici la dernière, une Aasen toute blanche, évitons bien le châssis d’atterrissage et je chantonne “Oui, c’est pour eux…” Cependant, de Marmier a viré plusieurs fois au-dessus du petit bois, au coin du village, le but est là, quelques batteries, abritées sous les arbres. Je lui tape sur l’épaule : “Fini !”
«Et tout comme les Conquistadors regardant monter les étoiles, penché à tribord de ma nacelle blanche, je suis des yeux le dernier projectile, il exécute une danse curieuse… Et je le perds de vue. Nous survolons de nouveau Arras et filons sans essuyer un coup de canon.»

 

(1) Marius Lavet (Cl. 10) était son camarade de promotion.