
Pourquoi cet ancien ingénieur chantier d’Alsthom a-t-il décidé, un beau jour de 1988, de rejoindre Médecins sans frontières (1) puis le Comité international de la Croix-Rouge (2), à Genève, deux organisations humanitaires internationales, présentes sur tous les points chauds de la planète ? «J’ai franchi le pas à l’occasion d’un bilan professionnel effectué avec la Soce. J’étais dans une période de réorientation de carrière, explique-t-il. Je voulais donner un sens à ma vie.»
Après les Arts, puis un an et demi de coopération au Caire, en Égypte, Frédéric Tremblay (Bo. 78) avait rejoint CGEE Alsthom avec l’idée de repartir à l’étranger. L’entreprise l’envoie d’ailleurs au Nigeria, à Lagos, comme ingénieur logistique. Une année éprouvante. L’environnement était hostile — «il y a beaucoup de violence dans ce pays». Pas mécontent de rentrer en France, il travaille alors, toujours pour le compte d’Alsthom, à l’installation du système de contrôle d’accès de trois centrales nucléaires. Présent sur les sites en semaine, chez lui le week-end, quatre ans durant : Frédéric sent confusément que cette vie n’est pas faite pour lui.

Sur le terrain en Arménie, en Ouganda et au Cambodge
«C’est en discutant avec les camarades qui suivaient le même stage que moi à la Soce que j’ai réalisé que ma place était ailleurs. J’ai posé ma candidature à Médecins sans frontières, Médecins du monde, Handicap international… Je me suis dit que j’allais partir pour un ou deux ans, pas plus. Le salaire n’était pas ce qui m’attirait le plus, on s’en doute, mais l’aventure, le dépaysement, la volonté d’être utile. À l’époque, j’étais loin de penser que j’allais travailler vingt-huit ans dans l’humanitaire.» Sa première mission humanitaire, Frédéric l’effectue pour MSF à Leninakan (rebaptisée Gyumri, son nom originel, en 1991), deuxième ville d’Arménie.

de matériel à Leninakan (aujourd’hui Gyumri).
En charge de la logistique des secours, il apprend à négocier avec les autorités et l’armée. Photo : MSF-DR
Cette petite république de l’Union soviétique connaît un tremblement de terre dévastateur en décembre 1988. On compte plus de 40 000 morts et la ville est détruite à 60%. L’organisation part y distribuer des articles de secours et ouvrir des centres de santé. Frédéric s’occupe sur place de la logistique. Il est dans son élément. «La logistique a été pour moi la passerelle entre le monde de l’industrie, d’où je venais, et l’humanitaire. Et cette mission m’a passionné. Au milieu de cette tragédie, nous faisions notre travail et les gens nous disaient, avec les larmes aux yeux : “Enfin, vous êtes là ! Nous vous attendions depuis 1915 !” [Début du génocide arménien, NDLR.] Humainement, c’était extraordinaire. J’ai voulu continuer.»
Frédéric Tremblay enchaîne alors les missions de terrain en tant qu’administrateur des antennes de MSF. En Ouganda, d’abord, à la frontière avec le Soudan, où la présence de la rébellion lui vaut d’essuyer un bombardement en règle par l’armée soudanaise. Puis au Cambodge, à Phnom Penh. À chaque fois, il cumule des tâches très variées incluant la logistique, les ressources humaines et la gestion financière. De retour à Paris, Frédéric a de plus en plus de responsabilités. Contrôleur de gestion, il assure depuis le siège le suivi financier de MSF dans 20 pays (budget : 25 millions d’euros) d’abord, puis dans 45 pays (80 millions d’euros). Il participe à la définition de la politique financière de l’association, négocie avec les donateurs (gouvernements, Commission européenne…), développe des outils de reporting et d’analyse comptable des missions. En 1999, MSF reçoit le prix Nobel de la Paix. Aujourd’hui encore, il en est fier. Via son expertise de gestionnaire, il a apporté sa pierre à l’édifice : «Le plus important pour moi, ce n’est pas tant ma fonction que la finalité de l’institution dans laquelle je travaille. C’est très valorisant.»
À Genève, au siège de la Croix-Rouge
Cette expérience chez MSF le conduit en 2001 à rejoindre le CICR à Genève. Il y est aujourd’hui chef d’unité de la comptabilité analytique. Un travail qui peut paraître austère, mais, dans cette organisation qui gère un budget annuel de 1,5 milliard d’euros, provenant à 90 % des gouvernements et à 10 % de dons privés, une stricte gestion financière s’impose. Et la pression est forte au regard des enjeux humains, où il est question de vie ou de mort. «On se pose des questions sur l’usage de l’argent dont nous sommes dépositaires. Comment l’utiliser au mieux dans les pays où nous intervenons souvent dans l’urgence… C’est un défi de tous les jours.»
Regrette-t-il le temps où il se frottait au terrain ? Un peu, même s’il voyage de temps à autre pour superviser. Cependant, il n’écarte pas l’idée, vingt-huit ans après sa première mission en Arménie, de s’expatrier à nouveau pour un an ou deux, avec sa femme et son petit dernier, âgé de 13 ans. À 57 ans, ce père de trois enfants garde toujours un œil ouvert sur le monde. Et déplore que les personnels de l’humanitaire soient devenus des cibles dans les zones de conflit. Enlèvements, hôpitaux bombardés : les récents événements survenus au Mali, au Yémen et en Syrie lui donnent malheureusement raison.
(1) MSF : www.msf.fr
(2) CICR : www.icrc.org/fr