
«Capables de développer une compréhension globale, les formations d’ingénieurs généralistes de haut niveau sont indispensables au maintien de la compétitivité de l’économie française en confortant son offre technologique et industrielle de premier plan. Très recherchés en France comme à l’international, nos ingénieurs reflètent les valeurs d’origine de leur école : recrutement très sélectif, excellence académique et de recherche, ouverture au monde économique et à l’entrepreneuriat, engagement international. Ces profils constituent de puissantes forces d’innovation et de management au sein de nombreuses entreprises ou d’institutions de recherche publiques ou privées.
Pour faire face à un marché de l’éducation supérieure devenu concurrentiel et mondial, la prééminence et la modernité de la «formation d’ingénieur à la française» doivent être réaffirmées. Malgré leur excellence, les écoles d’ingénieurs françaises sont encore insuffisamment structurées collectivement pour peser fortement à l’international. Elles doivent collaborer davantage et accélérer leurs regroupements pour améliorer la lisibilité de leur offre et accroître leur attrait.
La «taille critique» ne peut être le seul objectif
Dans ce contexte, les réformes successives de l’enseignement supérieur menées en France ces dix dernières années ont conduit à viser rapidement, et parfois sans réelle logique, la création de superstructures universitaires de plus en plus vastes : si des avancées ont été obtenues, notamment en montée en gamme et en rationalisation de l’offre éducative dans les territoires, force est de constater que les progrès ne sont pas aussi rapides et fructueux qu’escomptés, et que les réticences s’accumulent de toutes parts.
Des cas de rapprochements, entre institutions de même nature et aux offres complémentaires, constituent des exemples positifs. Les réunions opérées remodèlent le paysage universitaire et, malgré des échecs, elles ont souvent été réfléchies, élaborées avec leurs acteurs (enseignants, élèves, alumni, chercheurs…) et réalisées de façon efficace, même si la recherche de la «taille critique» ne peut pas être le seul objectif :
– réunification d’universités à Aix, Lyon, Strasbourg, Grenoble ou Clermont-Ferrand ;
– fusions entre écoles : Centrale-Supélec, ISAE SupAéro-Ensica, Institut Mines-Télécoms, Agro ParisTech-Ensia-Engref, ESCP-EAP, réseaux Skema, Kedge, Neoma…
Les cas d’hybridations entre universités et grandes écoles sont beaucoup plus délicats, car résumer l’avenir de ces deux modèles historiques très différents à de simples intégrations peut conduire à de graves erreurs stratégiques que même les universitaires redoutent. Les rapprochements opérés répondent à une logique de territoire entre plusieurs acteurs locaux (École centrale de Nantes et université de Nantes, par exemple) ou passent par la création d’écosystèmes complexes comme les communautés d’universités et établissements, les Comue (universités, grandes écoles et établissements de recherche).
La nature juridique des établissements publics qu’on veut regrouper, leur histoire, leur poids respectif, leur marque, leur rayonnement international, leur degré d’ouverture au monde économique ou le positionnement de leurs offres éducatives («premium», «mass market») forment une telle source de diversité, voire d’hétérogénéité, que d’autres logiques collaboratives doivent être envisagées pour réussir ces constructions et les rendre gouvernables.
Crainte d’un nivellement égalitariste
L’exemple des universités anglo-saxonnes, dont les composantes les plus prestigieuses disposent d’une grande autonomie au sein d’une institution puissante bâtie sur un «modèle fédéral», doit permettre d’imaginer un mode de coopération plus flexible entre universités et grandes écoles : or, il semble que les initiatives d’excellence, les Idex (1), veuillent actuellement forcer l’intégration des grandes écoles sous une tutelle universitaire, au prix d’une énergie considérable dépensée pour la seule définition d’une gouvernance acceptable par tous les acteurs et d’une irrémédiable destruction de valeur pour notre dispositif éducatif national.
Alors, à ce stade, que faire ? D’abord, rappeler l’expérience de ParisTech (2), une construction collective qui, depuis les années 2000, est parvenue à instaurer une marque de référence à l’international et un climat de confiance et de coopération entre dix grandes écoles franciliennes partageant des actifs communs :
– la fondation ParisTech et ses entreprises partenaires, qui financent des bourses, des chaires pédagogiques et des projets de recherche interdisciplinaires entre les écoles partenaires ;
– ParisTech Alumni (3) et ses 200 000 diplômés actifs dans le monde entier, réunis par groupes régionaux et animés via le réseau social ParisTech Forum ;
– «ParisTech Review», revue électronique internationale dotée de plus de 90 000 abonnés.
Ces dix écoles recueillent désormais des synergies concrètes issues d’une coordination volontaire et patiente entre elles, car ParisTech leur octroie un savoir-faire unique en matière de coopération renforcée entre établissements supérieurs, dépassant la seule notion de campus pour jouer le jeu du rassemblement pluridisciplinaire autour de grandes écoles de premier plan.
À l’instar de ParisTech, les solutions efficaces pour faire progresser notre enseignement supérieur ne viendront pas de démonstration d’autoritarisme (comme celle de la modification imposée des statuts de l’Ensam), mais de l’émergence de projets collectifs ambitieux, portés par des sous-ensembles institutionnels collaboratifs et homogènes, en lien avec le monde économique.
Au sein d’une superstructure souple à gouvernance pragmatique, que les Comue pourraient préfigurer si leur taille et leur diversité constituent une réelle force, les acteurs institutionnels mobilisés sur ces projets collectifs pourraient ainsi éviter qu’on leur impose des constructions technocratiques, souvent dogmatiques, et repousser les écueils d’une standardisation stérile ou la crainte d’un nivellement égalitariste.»
(1) Issues des «investissements d’avenir», les initiatives d’excellence (Idex) ont pour but de créer en France des ensembles pluridisciplinaires d’enseignement supérieur et de recherche de rang mondial.
(2) En 2016, ParisTech est composé de dix écoles : AgroParisTech, Arts et Métiers ParisTech, Chimie ParisTech, Ensae ParisTech, Ensta ParisTech, ESPCI, IOGS Institut d’optique, Mines ParisTech, Ponts ParisTech et Télécom ParisTech.
(3) www.paristech-alumni.org